Les douze premières
vignettes semblent évoquer ses origines spirituelles, avec une succession
de maîtres, parmi lesquels on peut penser reconnaître Padmasambhava,
Damarupa, ainsi que ses deux précédentes incarnations. La treizième
vignette fait clairement allusion à sa naissance sur le toit d'une
maison au Tibet méridional, et à sa vision de Dampa sangsrgyas
qui le pénètre sous la forme d'un arc-en-ciel. On trouve ensuite
de nombreuses références aux enseignements qui lui ont été
conférés. Plusieurs scènes sont relatives à ses
retrouvailles alors qu'il est agé de cinq ans, avec son ancien disciple,
U-rgyan-pa, qui deviendra son maitre. Sont également représentées
ses initiations à divers cycles tel que le Samvara Tantra, ou les
apparitions de diverses divinités tels Mahakala, ou Ekajati. On peut
également voir une évocation de l'histoire d'un arbre mort
qu'il replante et qui devient un grand bel arbre. Son initiation aux cinq
doctrines de Maitreya, l'apparition de Padmasambhava, sa vision des étoiles
et sa redaction d'un traité d'astrologie, des fondations d'hermitages
et de monastères, l'acceuil que lui réservent les dieux dans
tous ses déplacements, sont également illustrés dans
les vignettes.
La rangée
inférieure qui doit se lire de droite à gauche célèbre
probablement le décès de rangjung dorje, montré désormais
dans des sphéres divines, prêchant assis aux côtés
du Buddha, célébrant des rites en compagnie de diverses divinités
sous la direction de Vajradhara, face à deux stupa qui symbolisent
ses deux précédentes incarnations, ou encore, assis dans un
décor architectural, en compagnie de Manjuçri et d'Avalokiteçvara.
Les quatre dernières vignettes représentent successivement;
le Buddha, Vairocana paré, Amitabha, et encore le Buddha. Ces quatre
représentations font probablement encore allusion au monde divin rejoint
par le Karmapa après son décès et avant sa prochaine
incarnation, (Amitabha n'est-il pas le Buddha de la vie sans fin?) mais semblent
également faire office de remplissage pour les quatre dernièrs
espaces libres de la composition.
Rangjung dorje est
assis sur un trône architecturé, orné d'animaux mytiques
j reposant sur une tige de lotus qui émerge d'un vase à eau
lustrale, supportée par deux naga. Un subtil décor de feuillages
apparaît au dessus de l'arc-en-ciel qui entoure le moine. Toute la
partie centrale de ce thangka est directement inspirée de la peinture
indienne Pala, qui dès le XI° siècle servira de modèle
aux tibetains. Le style spécifique dans lequel elle est traitée,
est à mettre directement en rapport avec une petite série de
peintures généralement attribuées au Tibet occidental,
et dont la plus célèbre est un portrait de moine conservé
au los-Angeles County Museum (inv. M.80. 188).
Les cent treize
vignettes qui entourent le III° Karmapa, ont des fonds alternativement
peints en rouge, bleu, et vert, qui démontrent leurs liens avec la
peinture népalaise. Ainsi, comme pour la peinture de Sakyasari évoquée
plus haut, le moine central se rattache aux traditions indiennes, alors que
les registres historiés qui les entourent sont directement empruntés
de la tradition néware, (attestée dès le XIII° siècle)
d'entourer la divinité principale de divers épisodes et légendes
démontrant sa puissance, et l'efficacité de son rituel. Au delà
de cette "néwarisation" dans la couleur, la structure, et le traitement
de certains personnages, la majorité de ces centtreize images renvoit
directement à des peintures de manuscrits Pala. Tout ceci contribue
à donner le jour à une peinture tibétaine, dans laquelle
des éléments népalais viennent régénérer
une tradition "Pala internationale" qui s'essoufle.
Il faut noter sur
une des vignettes du rang vertical le plus à notre droite, une représentation
de Rangjung dorje assis dans une structure architecturale, entouré
de neuf Buddha dessinés en noir sur un fond or. Il s'agit cerainement
ici des prémices d'une technique qui sera par la suite appliquée
à des thangka entiers. (gser-thang).
Bien que postérieur
de quelques décénies à celui de Sakyasari, ce portrait
du III° Karmapa présente des différences de traitement
résultant uniquement d'une autre origine géographique. Les
liens évoqués plus haut avec le portrait de moine du musée
de Los-Angeles, plaideraient en faveur d'une origine au Tibet occidental.
Cette attribution est renforcée par les nombreuses similitudes stylistiques
de ce thangka avec les peintures murales du Lhakang Soma d'Alchi au Ladakh,
et de quelques autres temples de cette région. Ces peintures murales
sont depuis une quinzaine d'années au centre d2une querelle de datations.
L'existence de cette peinture vraissemblablement éxécutée
aux alentours de 1350, démontre que ce style "archaique" spécifique
était encore bien vivant dans la région au milieu du XIV°
siècle, alors que l'école népalisante était déjà
dominante au Tibet central.
Cette superbe peinture
narrative, peut être considérée comme "l'ancêtre"
du célèbre thangka représentant la vie de Milarépa
conservé au Los-Angeles Country Museum (M.81.90.2). Ce Milarépa,
généralement daté du XV° siècle est également
supposé provenir du Tibet Occidental. Ces deux peintures, tout comme
le portrait de moine de Los Angeles appartiennent aux traditions Kagyupa,
et sont peut-être les précieux témoignages d'une ancienne
tradition picturale caractéristique de cet ordre. |